Tahar DJAOUT : La force tranquille
« Phare brisé par les chasseurs de lumières »
« Tahar Djaout était l’un des représentants authentiques de la génération de l’Indépendance qui a exprimé en français l’âme de son peuple avec ses prouesses et ses déconvenues, ses aspirations et ses désenchantements ».
1- Présentation
Les seuls honneurs qu'il acceptait étaient ceux qui récompensaient son talent d'écrivain, ses seules revendications étaient la liberté d'expression et de création.
Le silence, c'est la mort / Et toi, si tu parles, tu meurs / Si tu te tais, tu meurs / Alors, parle et meurs" : à sa mort, ces vers de Djaout ont été maintes fois repris et ont marqué la mémoire collective. Ils sont devenus une profession de foi pour de nombreux journalistes algériens. Il assumait sa triple culture, arabe, berbère et française (sa langue d'écriture privilégiée était le français). C'est peut-être cette image de l'Algérie moderne et tolérante qu'on a voulu tuer en Tahar Djaout. Sa mort apparaît d'autant plus injuste qu'écrire était sa seule et véritable ambition Victime, le 26 mai 1993, d’un attentat terroriste au pied du bâtiment où il réside à Baïnem, Tahar Djaout y succombera après une semaine de coma le 2 juin. C’était trois semaines avant l’assassinat d’un autre intellectuel, Mahfoud Boucebsi- qui faisait partie d’un groupe créé pour demander la vérité sur l’attentat commis contre Djaout- et un mois avant l’assassinat du président du HCE, Mohamed Boudiaf. On ne sait si un jour l’histoire pourra se pencher sur cette période noire de l’Algérie qui a vu la fine fleur du pays décapitée au nom de l’idéologie intégriste. Medjoubi, Alloula, Belkhenchir, Chergou, Mekbel, Boukhobza, Liabès et tant d’autres cadres et intellectuels ont subi le sort macabre décidé par une secte d’assassins. Chaque semaine, un nom nouveau s’ajoutait au martyrologe. A tous, il est reproché la libre pensée, la franchise, l’honnêteté et l’engagement dans la société Fallait-il se taire ou continuer à parler, à écrire et à se battre pour faire valoir la raison, l’intelligence et la vie ? Djaout n’y va pas par quatre chemins pour nous appeler à mourir dans la dignité : "Si tu parles, tu meurs ; si tu te tais, tu meurs. Alors, parle et meurs !". Cette citation du poète deviendra une devise que même les tagueurs de Kabylie reproduiront sur les murs lors des journées sanglantes de la révolte citoyenne en 2001.
Au lendemain de la mort de Djaout, un autre écrivain, Rachid Mimouni, qui mourra quelques années plus tard dans son exil de Tanger, écrira, avec la rage au cœur, dans le journal Le Monde du 13 juin 1993 : "Tuez-les tous et qu’Allah n’en reconnaisse aucun ! Telle semble être la devise des intégristes algériens. L’écrivain Tahar Djaout, âgé de trente-neuf ans, vient d’être victime de cette furie meurtrière. Pourquoi s’est-on attaqué à lui ? Il s’est toujours tenu à l’écart du champ politique et n’a jamais occupé un poste dans l’appareil de l’État (…) Les intellectuels constituent désormais leur cible privilégiée. Ils sont d’autant plus faciles à atteindre qu’ils habitent dans des quartiers populaires, fiefs intégristes, et ne bénéficient d’aucune protection. Ils ne savent plus pourquoi ils vont mourir. Les Intégristes leur promettent une balle dans la tête, et le chef du gouvernement les traite de ‘’laïco-assimilationnistes’’, ce qui est une forme d’incitation au meurtre".
« Djaout s'insurge sans doute d'abord contre tous les opiums – et il le fait avec une précision féroce. Mais son impatience de l'amour fait surtout éclater les murs, bouscule les tergiversations et les formules convenues. Lui aussi veut vivre en joie et en gloire. (...) La poésie de Djaout est enfin très enracinée dans le terroir africain. Ses racines et ses adhérences viennent à bout du macadam de la Ville; elles plongent dans l'humus ancestral du grand continent et dans ses rythmes ».
2- Biographie
D'origine kabyle, Tahar Djaout est né le 11 janvier 1954 à Oulkhou (Ighil Ibahriyen) près d'Azeffoun en Kabylie. En 1970 sa nouvelle Les insoumis reçoit une mention au Concours littéraire « Zone des tempêtes ». Il achève ses études l'année suivante au Lycée Okba d’Alger et obtient en 1974 une licence de mathématiques à l’Université d’Alger, où il s’est lié avec le poète Hamid Tibouchi.
Tahar Djaout écrit ses premières critiques pour le quotidien El Moudjahid, collabore régulièrement en 1976 et 1977 au supplément El Moudjahid Culturel puis, libéré en 1979 de ses obligations militaires, reprend ses chroniques dans El Moudjahid.
Responsable de 1980 à 1984 de la rubrique culturelle de l’hebdomadaire Algérie Actualité, il y publie de nombreux articles sur les peintres (Baya, Mohammed Khadda, Denis Martinez, Hamid Tibouchi) comme sur les écrivains algériens de langue française dont les noms et les œuvres se trouvent alors occultés, notamment Jean Amrouche, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohammed Dib, Jean Sénac, Bachir Hadj Ali, Messaour Boulanouar, Youcef Sebti, Abdelhamid Laghouati, Malek Alloula, Nabile Farès...
En 1985 Tahar Djaout reçoit une bourse pour poursuivre à Paris des études en Sciences de l’information. De retour à Alger en 1987, il reprend sa collaboration avec "Algérie Actualité". Alors qu'il continue de travailler à mieux faire connaître les artistes algériens ou d'origine algérienne (par exemple Mohamed Aksouh, Choukri Mesli, Mokhtar Djaafer, Abderrahmane Ould Mohand ou Rachid Khimoune), les événements nationaux et internationaux le font bifurquer sur la voie des chroniques politiques.
Il quitte en 1992 Algérie Actualité pour fonder avec quelques uns de ses anciens compagnons, notamment Arezki Metref et Abdelkrim Djaad, son propre hebdomadaire : le premier numéro de Ruptures, dont il devient le directeur, paraît le 16 janvier 1993.
Victime d'un attentat islamiste organisé conjointement par le FIS (Front islamique du salut) et sa matrice au niveau du pouvoir incarné par des généraux sans foies ni loi, le 26 mai 1993, alors que vient de paraître le n° 20 de son hebdomadaire et qu’il finalise le n° 22, Tahar Djaout meurt à Alger le 2 juin et repose dans son village natal d'Oulkhou.
3- Bibliographie
Tahar Djaout traduit A Lemri ! De Chérif Kheddam
"Ô miroir, ton destin est plus
enviable que le mien.
Je suis comme un dément
Et n'aspire qu'à te ressembler.
L'amour te visite à tout moment,
Lorsque la belle descend
Et devant toi se teint au henné.
Colombe se pavanant dans les près ;
Elle est exempte de tout défaut,
Ne se laisse pas séduire
par l'inconnu.
Nous demandons à Dieu aimé
Que notre tour arrive
De célébrer ensemble notre joie.
Elle te fixe sans fausse pudeur.
C'est ta compagnie qu'elle sollicite,
Si tu avais su comprendre !
Ami, sois heureux avec elle,
Enivre-toi de son parfum ;
Je sais que tu me surpasses
en chance.
Elle se peigne, parfait sa coiffure,
Se regarde soigneusement
Pour repérer le défaut.
Sa beauté, sa taille sont
impeccables,
Tout en elle crie la perfection.
Elle est pareille au fruit mûr".
Juba
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